Soldat Lucien Drouard 72e RI
Le soldat Lucien Drouard du 72e RI, était ordonnance du Capitaine De Changy tué le 22 février 1915 au cours des combats à Mesnils les Hurlus. Ses nombreuses correspondances ont été conservées après la guerre voici un extrait de son témoignage...
Ce courrier écrit par Lucien Drouard daté du 9 mars 1915 nous livre un témoignage émouvant de réalisme sur les combats du 72e RI en mars 1915.
St Mard 9 mars 1915
Ma chère Germaine
Je profite d’un instant pour vous donner de mes nouvelles qui sont à peu près bonnes. Il fait froid, un vent violent, il tombe de la neige. On est percé, jamais je n’ai eu si froid. Nous combattons au dessus de Mesnil-les-Hurlus et à chaque fois que nous allons dans les tranchées, on charge trois, quatre fois à la baïonnette. Quelle boucherie, le mot n’est pas faux. On marche sur les cadavres qui sont par milliers, je n’exagère pas. Notre régiment vient d’être presque anéanti. Sur 229 que nous étions à la Compagnie, il en reste 50 et toutes les Compagnies la même chose. Maintenant nous sommes renforcés par le 26e d’Infanterie. Les vides sont énormes et terribles quand on pense à tout cela. Je me demande quand cela sera fini. Je commence à perdre patience et courage mais quoi dire et faire. Il faut se résigner à tout.
J’étais très heureux hier quand j’ai reçu une lettre de votre mère. Certainement elle est très gentille avec moi. Elle a eu la même pensée que moi. J’avais réfléchi à tout ce qu’elle me conseille mais le capitaine ….. n’est plus au Deuxième Corps, il est changé. Je crois qu’il doit être au 15e Corps d’Infanterie. L’affaire s’est bien passée, je me suis débrouillé pour rester ordonnance du cheval. Je reste à la 7e Compagnie. Je crois être encore bien loyal comme officier mais pour moi, la valeur de l’autre ne s’explique pas. J’étais avec lui comme un père aurait pour fils. Jamais il ne m’a dit une parole plus haute que rien même jamais un reproche. On parlait de l’avenir après la guerre, on faisait des projets. Mais maintenant, la main armée elle a mit avant tout ce que avions rêvé, enfin suivant notre destinée.
Ma chère Germaine, nous reverrons-nous ? Cette question est aussi difficile à étudier. Mais il y a encore espoir.
Je recevais bien 2 paquets, un de chez nous et l’autre de ce noble cœur. Jamais je ne l’oublierai. Tout était en parfait état, le gâteau intact. Cela me rappelle bien des souvenirs. Nous l’avions mangé nous deux. Un copain, un réchappé de la catastrophe, le cuisinier de mon ancien capitaine, celui qui le ……. a été tué aussi. La poire un peu écrasée mais je l’ai mangée d’un grand appétit. Quelques cigarettes un peu mouillées par la poire mais le plaisir durerait plus longtemps…….les fumerait, ils s’useraient moins vite. La boite ……………………….car cela est une réserve pour quand on marche. On est bien aise de trouver quelques petites réserves dans notre misère. Maintenant, pour la trousse, c’est un vrai……. Ma chère petite Germaine, encore tous mes remerciements depuis le matin jusque le soir que je m’endors, la pensée est toujours la même vers vous. Il n’y a pas de doute, ma parole sera infaillible, vous pouvez en être certaine.
Dans ma prochaine lettre, je vous dirais où est ma place dans le combat. Si je vouais, j’en aurais à vous raconter. Ce ne serait pas des pages mais des cahiers entiers.
Je vous quitte chère petite amie. Bien des petites choses à toute la famille. Embrassez bien tout le monde pour moi.
J’ai mon beau-frère qui m’écrit une carte me disant qu’il y a une grande fête qui m’attend mais quand je vais lui écrire, je lui demanderai quelle est cette fête.
Enfin, ma petite Germaine, recevez de votre ami son entière amitié. Je vous embrasse bien affectueusement.
Votre ami pour la vie
Lucien
(avec tous mes remerciements pour l'autorisation de Mr Dominique L.)
>>>> Le 72e RI dans les combats en Mars 1915